Anachronie

Conflict of times

Saint-Pétersburg, 25 octobre 2017

Je ne parlerai pas de la révolution russe : d’autres peuvent ici le faire bien mieux que je ne le pourrais. J’en retiendrai cependant un élément : son anachronisme. Par là, je ne veux pas seulement dire que la référence à la révolution russe, à Lénine, aux soviets, est anachronique dans un monde où chacun est censé savoir que ces noms ne peuvent nommer qu’un échec ancien ; que, même si l’on cherche à lutter contre le capitalisme, on ne peut s’appuyer sur eux, et sur les expériences auxquelles ils renvoient.

Il est vrai que, même sur ce point, quelque chose a changé, depuis au moins une dizaine d’années. Les années d’hiver ont pris fin. La possibilité d’une révolution est de plus en plus audible. Et plus encore, peut-être, sa nécessité. Mais c’est l’un des problèmes : sa nécessité est beaucoup plus évidente que sa possibilité. Qu’il soit nécessaire d’interrompre le processus d’accumulation capitaliste et les effets désastreux qu’il entraîne, et que cette nécessité soit toujours plus urgente : cela peut relever d’une évidence toujours plus répandue. En revanche, savoir comment peut s’opérer cette interruption, c’est ce qui reste éminemment problématique.

Mais lorsque je parlais d’anachronisme, je pensais à autre chose. La révolution russe, et en particulier cet événement dont nous célébrons aujourd’hui l’anniversaire en oubliant le décalage des calendriers, n’a pas eu lieu au « bon » moment. Elle a eu lieu au moment où l’on pouvait trouver toutes les bonnes raisons de dire : « les conditions ne sont pas encore réunies », ou « l’insurrection est prématurée ». Elle a eu lieu en brisant la linéarité d’un temps dont beaucoup auraient voulu qu’il soit par lui-même porteur d’un progrès graduel, appelant la patience, et ainsi apparenté au temps du développement du capital. En ce sens, elle fait paradigme de ce qu’un acte révolutionnaire introduit toujours un décalage dans le temps, un élément proprement anachronique.

1. Anachronies

Cet élément anachronique avère que le temps historique est fait d’une pluralité de temps. Des historiens se montrent aujourd’hui soucieux d’envisager cette pluralité, mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Il y a une vingtaine d’années, Jacques Rancière faisait remarquer que le discours de l’Histoire, dans le sillage de l’école des Annales, avait une manière bien spécifique de réaliser le nouage du temps, de la parole et de la vérité. Une manière qui était censée pouvoir fonder la scientificité de ce discours. Mais celle-ci avait un prix : il fallait supposer notamment que le fait, pour un individu quelconque, d’appartenir à un temps historique, à une époque déterminée, signifiait nécessairement qu’il exprimait dans ses actes et ses paroles ce qui caractérisait cette époque.

Sur cette base, Lucien Febvre pouvait écrire que le péché suprême, en histoire, était celui de l’anachronisme : Rabelais ne pouvait être incroyant parce que l’incroyance ne faisait pas partie des possibles de son temps. Le péché d’anachronisme ne pouvait être évité que si la science historienne identifiait l’appartenance à un temps historique à l’expression des possibilités contenues dans ce temps.

Tout le problème est que, pour qu’il arrive quelque chose dans l’histoire, il faut toujours commencer par ce qui n’est pas possible. C’est-à-dire : par ce qui introduit un autre temps dans le temps.

Je cite Rancière : « Il y a de l’histoire pour autant que les hommes ne “ressemblent” pas à ce temps, pour autant qu’ils agissent en rupture avec “leur” temps, avec la ligne de temporalité qui les met à leur place en leur imposant de faire de leur temps tel ou tel “emploi”. […] Il n’y a pas d’anachronisme, mais il y a des modes de connexion que nous pouvons appeler des anachronies. […] Une anachronie, c’est un mot, un événement, une séquence signifiante sortis de “leur” temps, doués du même coup de la capacité de définir des aiguillages temporels inédits, d’assurer le saut ou la connexion d’une ligne de temporalité à l’autre. […] La multiplicité des lignes de temporalité, des sens même de temps, inclus dans un “même” temps est la condition de l’agir historique » (Jacques Rancière, « Le concept d’anachronisme et la vérité de l’historien »).

La pluralité de ce que Rancière appelle des « lignes » de temps, c’est tout d’abord ce qui permet de briser la linéarité du temps auquel nous sommes censés appartenir.

Mais cette pluralité de temps n’est pas un donné. Il s’agit, d’une certaine manière, de la fabriquer. Car ce qui est donné, c’est au contraire la fausse évidence qu’il n’y a qu’un seul temps historique.

2. Le temps du capital

Le capitalisme cherche à imposer un temps unilinéaire. Ce temps, c’est celui de son développement, c’est-à-dire tout d’abord celui de la mise au travail généralisée. Dans son livre Capitalism in the web of life, Jason Moore considère qu’il faut prendre à la lettre cette généralisation. Ce qui est mis au travail, avec le capitalisme, c’est la nature entière, en y incluant les humains.

Ce sont les vivants de l’ensemble de la planète qui sont sommés de contribuer au développement du capitalisme. Et pas seulement les vivants, mais leurs milieux de vie, les forêts dans lesquelles ils s’abritent, ou les sols d’où s’extraient les ressources productrices d’énergie.

C’est depuis cette mise au travail que l’on peut concevoir l’histoire du capitalisme comme écologie-monde. Or cette écologie-monde a bien pour condition de possibilité l’invention d’un temps spécifique.

Entre le XIVème et le XVIème siècle, un temps nouveau a été inventé : le temps de l’horloge, qui se déroule en dehors des vivants dont il règle cependant l’activité. C’est sur la base de cette invention que la capital a pu réaliser sa domination sur le monde à partir de la fin du XVème siècle, en ayant pour projet de « réduire le temps de la vie au temps de l’accumulation » (Jason Moore).

Pour opérer cette réduction, il fallait pouvoir traduire le temps de la vie en temps de travail. À s’en tenir au marxisme élémentaire, le temps des horloges est avant tout le temps « abstrait », mesurable en pures quantités ; c’est ce temps abstrait qui permet de parler du travail « en général », et de le traiter lui-même comme un élément quantifiable.

Mais, dira-t-on, il y a bien longtemps que le capitalisme lui-même ne fonctionne plus vraiment sur cette base. Il y a bien longtemps, nous dit Toni Negri, qu’il ne s’en tient plus à la vieille « loi de la valeur » fétichisée par les marxistes. L’enjeu reste le temps, mais pas en tant qu’il permettrait de faire du travail quantifiable la mesure de la valeur. L’enjeu est directement le temps de la vie en tant qu’il est consumé ou consommé dans sa mobilisation pour le développement du capital.

Aujourd’hui, le capitalisme ne repose plus d’abord sur les disciplines d’enfermement, qui avaient notamment pour fonction de contrôler le temps passé au travail. Il se nourrit des initiatives prises par les sujets libres aussi bien sur les lieux de travail qu’en dehors de ces lieux.

Chacun de ces sujets admet volontiers qu’il est « construit par les relations » ; il sait qu’il est perpétuellement « en devenir ». Mais même si ce devenir n’est pas réglé par le Dieu leibnizien, un tel sujet ressemble étrangement à une monade. Une monade qui aurait appris qu’elle n’est pas une substance, qu’elle est faite par ces expériences plutôt qu’elle n’est le support de celles-ci. Mais qui n’en demeure pas moins convaincue qu’elle a son trajet, son parcours propre, c’est-à-dire au bout du compte, son temps singulier. Les monades ouvertes du monde libéral sont des monades temporelles.

On ne s’étonnera pas de ce que la phrase certainement la plus usée au quotidien dans le monde globalisé soit « Je n’ai pas le temps » : je suis à ce point dans mon temps propre que je n’ai, comme rapport au temps commun, que l’accordage sur les horloges. D’où la propension à multiplier les rendez-vous, en tant qu’ils sont le tenant-lieu d’un temps commun désormais disparu – ou sa promesse constamment différée.

Le temps des horloges reste bien en ce sens une pièce centrale du fonctionnement de la mégamachine globalisée. Mais le problème n’est donc pas tant l’abstraction ou la quantification du temps en tant que telles, que l’absentement du temps commun. Et cet absentement procède de la conjonction entre le temps des horloges en tant qu’il est le seul censé valoir pour tous, et les temps propres des singularités ouvertes et relationnelles, et pourtant ultimement closes sur leur parcours et leur trajet de vie, traductibles en « compétences » valorisables.

Le capitalisme repose sur le monopole de l’instauration du temps commun, ou plus précisément de ce qui en tient lieu : une mise en synchronie qui demeure extérieure aux processus et aux activités dont il permet l’accordage.

Une mise en synchronie qui ne passe pas seulement, il est vrai, par le tic-tac de l’horloge ; car elle passe aussi par la nécessité qui s’impose à tous de suivre l’évolution des dispositifs communicationnels qui vont eux-mêmes déployer l’espace d’une synchronie planétaire. Chacun est tenu d’actualiser en permanence les connaissances et les compétences qui vont lui permettre de communiquer de n’importe quel endroit du monde avec tous les habitants de la Terre.

En ce sens, la mise en synchronie n’est pas qu’un monopole formel : elle est désormais elle-même le contenu central des injonctions sociales.

Pour résumer au plus simple : le problème central n’est pas celui de l’extension des formes de l’exploitation. Le problème reste celui qui avait été résumé par Marx et Engels dans leur Manifeste : le capitalisme repose sur l’appropriation du travail d’autrui. Et cela reste vrai lorsque ce travail n’est pas reconnu comme travail ; cela reste vrai lorsque ce travail est celui de la nature – en ce sens, Jason Moore ne fait qu’étendre l’entente du concept d’« autrui ». 1)Note

Démanteler toutes les formes d’appropriation du travail d’autrui : c’est par ce biais, on s’en souvient, que Marx et Engels identifiaient le programme communiste.

3. L’autre temps dans le temps

La mise en œuvre d’un tel programme suppose l’insertion d’un autre temps dans le temps, un temps révolutionnaire à l’intérieur du temps du développement capitaliste.

Or, on l’a dit : la pluralité des temps n’est pas un donné. L’anachronie doit être construite. La question est celle des voies de cette construction.

De quelle manière est-il possible d’insérer un temps hétérogène dans le temps du capital ?

Je voudrais ici relever au moins deux formes de cette insertion de l’autre temps dans le temps : celle du collectif ; et celle de l’action commune.

3.1 Le collectif

C’est Gilbert Simondon qui a, me semble-t-il, proposé une entente du concept de « collectif » renouvelée et féconde.

Il envisage le collectif à partir de ce qu’il appelle la relation transindividuelle. Celle-ci ne demeure pas extérieure aux individus, mais fait de ces derniers les éléments d’une réalité qui les comprend. Elle n’est pas simplement inter-individuelle, elle traverse et transforme les individus qu’elle assemble, de telle sorte que leur être-ensemble en vient à composer un espace et un temps spécifiques.

On peut parler pour la relation transindividuelle d’une résonance interne. Une relation transindividuelle est le site d’un système de résonance qui n’est plus celui d’une collection d’individualités en devenir, mais celui du collectif en tant qu’il a trouvé sa consistance propre. Une telle résonance est expérimentée par les membres d’un collectif politique : non seulement ce qui arrive à l’un affecte simultanément les autres ; mais en retour, ce qui est agi par l’un implique une action pour les autres.

Un collectif militant ou un groupe d’activistes se reconnaît à ceci que ses membres entretiennent une disposition qui les rend capables de se mobiliser lorsqu’un certain type d’événement se produit (une rafle de sans-papiers, une loi sur la gestion des précaires ou contre le « terrorisme », etc.). La perception de l’événement est toujours associée à un schème d’action collective. Chacun sait que les autres membres du groupe seront capables de se mobiliser ensemble pour faire face à cet événement – et c’est justement ce savoir qui produit cette capacité. Le groupe se rend capable d’agir sur le monde parce que les membres du groupe ont déjà agi les uns sur les autres, du fait même de l’existence de ce savoir commun.

Dans un tel collectif, chacun éprouve qu’il est plus que lui-même, que son être déborde ce qu’il croyait être ses limites propres, celles de son individualité – même lorsque celle-ci est « en devenir ». Chacun est décentré par rapport à lui-même, et c’est ce décentrement qui outrepasse la monade temporelle qu’il pourrait être, par l’accès qui lui est donné à un véritable temps commun. Disons alors qu’un collectif existe lorsqu’il donne forme à ce qui défait les limites des êtres individués qui ont instauré entre eux des relations transindividuelles.

3.2 Le réseau d’actes

Le collectif transindividuel n’est que l’une des formes par lesquelles peut s’instaurer un temps commun – une forme qui ne peut avoir qu’une extension limitée. L’autre forme est celle de l’action, et plus précisément, celle de la résonance des actes.

Précisons : des actes libres. L’acte libre se définit de ne pas se clore sur lui-même. Le contraire de l’acte libre, pour Simondon, c’est l’acte fou, clos sur lui-même, incapable de « rayonner » au-delà de lui-même. L’acte libre, à l’inverse, ne consiste pas en lui-même. Ce qui veut dire qu’il s’inscrit dans un réseau formé par une pluralité d’actes.

Ces actes renvoient les uns aux autres, comme peuvent le faire, au sein d’un mouvement politique, les actions menées par différents groupes en différents points d’un territoire, ou à des moments différents. Dans le cas où de tels actes parviennent à se relayer, à se reprendre, on peut dire qu’« il y a une résonance des actes les uns par rapport aux autres ».

Simondon parle plus précisément d’une « simultanéité réciproque » des actes : ajouter un acte à une situation donnée va toujours de pair avec la reprise d’un autre acte au moins, qui de ce fait n’est pas laissé au passé ; il redevient présent, et par cette reprise, il donne en retour à l’acte présent la capacité de se soustraire au supposé « cours du temps ».

Je cite Simondon : « Chaque acte reprend le passé et le rencontre à nouveau ; [il] résiste au devenir et ne se laisse pas ensevelir comme passé ; sa force proactive est ce par quoi il fera toujours partie du système du présent, pouvant être réévoqué dans sa réalité, prolongé, repris par un acte, ultérieur selon la date, mais contemporain du premier selon la réalité dynamique du devenir de l’être. Les actes construisent une simultanéité réciproque, un réseau qui ne se laisse pas réduire à l’unidimensionnalité du successif » (Gilbert Simondon, l’Individu et sa genèse physico-biologique, p. 246).

L’acte contrevient par nature à la logique de la succession, du fait qu’il contient la possibilité non seulement de sa reprise, mais aussi de ce qu’une telle reprise dessine – et l’image du « réseau » indique seulement ici une sorte d’épaisseur qui marque la distance avec le caractère linéaire de la succession.

C’est ainsi que peut se construire une pluralité de temps, ou une anachronie comme le dit Rancière, c’est-à-dire ce qui permet d’explorer des passages et des sauts entre des temporalités différentes.

C’est ainsi surtout qu’une temporalité commune peut s’instaurer, qui n’est plus celle dont le capital cherche à se rendre le seul maître, et qui pour autant ne se réduit pas à l’expérience d’un collectif singulier. Pas davantage, notons-le, à celle d’un « collectif de collectifs ». Le temps commun procède ici de ce que Oliver Feltham appelle une logique de l’action commune.

Cette logique suppose deux choses : d’une part une hétérogénéité avec ce qui impose le temps supposé univoque du développement capitaliste. L’enjeu est de substituer une synchronie à une autre : à la synchronisation du « temps réel » du capital, substituer la mise en synchronie non-linéaire des actes politiques et de l’action unifiée qui parcourt leur réseau.

Mais elle suppose aussi, d’autre part, que l’action commune soit reconnue dans son univocité – il y a un réseau d’actes dont l’unité est discernable en tant que telle. Qu’elle soit reconnue par ceux qui la portent, et qu’elle soit nommable en tant que telle.

« Communisme », en ce sens, est le nom d’une logique d’action commune. C’est l’un de ces mots qui, comme le dit Rancière, déplace les êtres, c’est-à-dire les contraint à quitter ce qui était censé être leur place, à expérimenter une ligne de vie brisée qui, par cette brisure, ouvre des horizons inexplorés.

Mais il faut aussi que cette logique soit reconnue par ceux qui voudraient qu’elle n’existe pas.

4. Les classes et l’écologie-monde

Lorsque nous convoquons la référence révolutionnaire, de quoi s’agit-il d’hériter ? D’abord de ceci : si une révolution est nécessaire, c’est qu’un changement doit être imposé ; qu’il doit être imposé contre ceux qui dirigent, ceux qui sont responsables du cours des choses. Une révolution, c’est toujours l’imposition violente d’un bouleversement des conditions de la vie commune à ceux qui le refusent absolument. Autrement dit, c’est toujours une action qui s’impose à un ennemi, et contre la volonté de cet ennemi.

Cet ennemi, ce n’est pas « le capitalisme » ; ce sont les militants du capital. Être militant du capital, c’est vouloir imposer l’idée que ce qui gouverne le destin des sociétés, ce sont les lois de l’économie. L’ennemi, donc, ce sont les militants de l’économie. C’est-à-dire tous ceux qui pensent que ses « lois » donnent forme à la vie commune.

Si l’on pense ainsi, même en étant « de gauche », même en étant « marxiste », on est un militant de l’économie.

L’économie, c’est le refuge de la nécessité historique, une fois absentée la téléologie du progrès, sur laquelle se sont malheureusement trop appuyées les forces révolutionnaires de l’ancien mouvement ouvrier. Ce qui a changé, par rapport à l’époque de Marx ou à celle de Lénine, c’est tout d’abord ceci : si les révolutionnaires ne peuvent plus s’appuyer sur une nécessité historique, leurs ennemis ne le peuvent pas non plus.

Ils font bien sûr comme s’ils ne le savaient pas. L’économie s’impose comme une nécessité dont il est pourtant partout visible qu’elle a tous les signes de la plus radicale contingence.

La révolution diagnostiquée par Marx, a l’inverse, était bel et bien nécessaire, et le reste. Mais sa nécessité n’a pas suffi. Le capitalisme était condamné à mort par l’Histoire, mais il a survécu à sa propre mort. Il a dû cependant en payer le prix : il lui est désormais difficile de faire croire qu’il demeure vecteur de progrès. Le capitalisme qui a survécu à sa fin nécessaire, c’est le capitalisme qui n’ouvre plus aucun avenir désirable.

Cette absence d’avenir, les analyses de l’écologie-monde nous permettent de le décrire. Mais elles nous permettent surtout autre chose. Le paradigme de l’écologie-monde permet de donner une tournure politique aux perspectives qui convoquent un tournant post-humaniste. Les théoriciens de ce tournant font parfois mine d’oublier que la politique dans le capitalisme est nécessairement une politique de classes – ne serait-ce que parce qu’il existe une classe des capitalistes.

Or il me semble qu’on ne peut comprendre les enjeux actuels de la lutte de classes que depuis l’idée que le capitalisme est une écologie-monde.

La critique de l’appropriation de la nature par le capital, et des effets désastreux qu’entraîne cette appropriation, est aujourd’hui un vecteur subjectif de la politique de classes. Il est même peut-être le seul à pouvoir relancer un antagonisme dans lequel la classe des désappropriés ne se retrouve pas inéluctablement collée au fractionnement des identités sociales et à leurs intérêts disparates.

Il y a une division de classes qui peut tout à fait se penser à l’échelle de la planète. Et cette division de classes a en son cœur la lutte contre l’appropriation capitaliste de la nature, du temps de la vie et du temps de ce qui permet à celle-ci d’avoir un sol.

2)Note.

La critique de la mise au travail généralisée prolonge la critique classique qui est faite aujourd’hui des suites de la révolution russe à l’endroit du « productivisme » par lequel les soviétiques ont voulu rivaliser avec les capitalistes. Cette critique est juste si elle n’oublie pas que le problème se posait d’abord, à l’époque, depuis le travail ouvrier.

Ce qui me permet une remarque sur la Révolution russe : si quelque chose a été raté par les dirigeants soviétiques, c’est bien l’importance que pouvaient avoir, pour la révolution elle-même, les expériences d’autonomie ouvrière. C’est en tout cas l’une des thèses défendues par Rita di Leo dans son livre l’Expérience profane. (trad. P. Farazzi, Paris, L’Éclat, 2012). On ne s’étonnera pas que Mario Tronti ait rédigé la préface de ce livre : il a été, en tant que figure éminente du courant « opéraïste » italien, le théoricien du refus du travail, envisagé comme l’attaque la plus directe et la plus menaçante du développement capitaliste.

References   [ + ]

1. Note
2. Note.

La critique de la mise au travail généralisée prolonge la critique classique qui est faite aujourd’hui des suites de la révolution russe à l’endroit du « productivisme » par lequel les soviétiques ont voulu rivaliser avec les capitalistes. Cette critique est juste si elle n’oublie pas que le problème se posait d’abord, à l’époque, depuis le travail ouvrier.

Ce qui me permet une remarque sur la Révolution russe : si quelque chose a été raté par les dirigeants soviétiques, c’est bien l’importance que pouvaient avoir, pour la révolution elle-même, les expériences d’autonomie ouvrière. C’est en tout cas l’une des thèses défendues par Rita di Leo dans son livre l’Expérience profane. (trad. P. Farazzi, Paris, L’Éclat, 2012). On ne s’étonnera pas que Mario Tronti ait rédigé la préface de ce livre : il a été, en tant que figure éminente du courant « opéraïste » italien, le théoricien du refus du travail, envisagé comme l’attaque la plus directe et la plus menaçante du développement capitaliste.